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Par Alessandro Giraudo
La crise pétrolière de 1973 est considérée la première crise énergétique dans l’histoire du monde. En réalité, il s’agit de la deuxième ; la première crise a eu lieu au cours du XVII-XVIIIe siècle.
Une série de conditions économiques, militaires et climatiques se sont conjuguées et le résultat final a été une forte hausse des prix de l’énergie…les prix du bois ont été multipliés par 4-5 et un certain nombre de guerres se sont déplacées vers le Nord de l’Europe, région largement recouverte par des forêts (de la guerre des Sept Ans du Nord à la Troisième guerre du Nord, durée 21 ans). Avant tout, il faut rappeler que l’énorme demande de canons a forcé les producteurs à se procurer du charbon de bois pour faire fondre le cuivre et l’étain afin d’obtenir le bronze, métal essentiel pour produire des canons ; on a aussi utilisé le fer pour fondre des canons, avec un coût moyen inférieur de 2/3. Cette réalité a promu la Suède au rang des grandes puissances car ce pays dispose de fer de très bonne qualité et de forêts immenses. Les canons de la English Navy de Elizabeth ont été fabriqués en large mesure en fondant les cloches des 800 couvents catholiques que son père Henri VIII avait « nationalisés » après le schisme anglican. Et en Angleterre, à l’époque, on a procédé à une déforestation dramatique de la région du Weald (toponyme, car ce mot signifie région boisée en langue saxonne) dans le sud-est anglais pour obtenir du charbon de bois. Par ailleurs, l’énorme développement de l’artillerie dans toute l’Europe a eu un impact très important sur l’urbanisation : de nombreux paysans ont quitté les fermes pour aller habiter dans les villes (protégées par les murailles de défense), tout en travaillant dans les champs au cours de la journée. Ce phénomène a eu une conséquence très précise : forte demande de bois pour bâtir les maisons et, aussi, pour fabriques des murailles, des bastions, des courtines.
De plus, l’expansion des flottes commerciales et militaires a fait grimper la demande de bois pour construire des galions et d’autres types de bateaux…pour fabriquer un galion il faut environ quatre mille arbres de bonne qualité ; face à la hausse de la demande et des prix du bois, un nombre très élevé de grands bateaux a été construit en Asie et dans les Caraïbes pour profiter de la disponibilité abondante de bois.
Mais, au même moment, on a aussi observé une baisse sensible des températures. Les scientifiques parlent de la petite glaciation du XVII-XVIIIe siècle. La mode et la penture ont bien documenté cette réalité. La peinture flamande montre beaucoup d’enfants et d’adultes qui font du ski et du patinage (et des chutes) sur les canaux gelés. A Londres il y avait même des « frost fairs » sur la glace de la Tamise ! Toujours dans la peinture européenne on peut admirer les décolletés vertigineux des femmes de la Renaissance et, plus tard, les collerettes plissées en dentelle et les vêtements très lourds des femmes du siècle d’or hollandais ; souvent les hommes importants figurent avec de grosses fourrures dans les portraits officiels dans le nord et même dans le sud de l’Europe. Cette violente vague de froid a fait bruler des forêts entières pour permettre aux hommes de se chauffer, surtout en Europe et dans les régions de l’Amérique du Nord.
La crise énergétique de 1973 a modifié l’energy mix mondial
Revenons à la crise énergétique de 1973. Les statistiques de l’IEA sont claires : l’energy mix entre cette période et nos jours a été radicalement modifié. En 1973, le pétrole représentait 46.2% de la consommation mondiale contre 30.9% de nos jours ; la consommation de gaz est passée de 16.1% à 23.2%, par contre celle du charbon a été marginalement modifiée (de 24.7 à 26.9%). Dans les autres secteurs les variations sont marginales, sauf pour l’énergie nucléaire qui est passée de 0.9% à 5%. Par ailleurs, un grand pays consommateur et net importateur d’énergie est devenu, grâce au pétrole et au gaz de schiste, un net exportateur de gaz (depuis 2017) et de pétrole (depuis 2020) !
ENERGY MIX
Source : IEA , Sept 2021
Déséquilibre entre offre et demande ?
Peut-on imaginer un déséquilibre entre offre et demande? La réponse est dramatiquement positive, tout en tenant compte de l’effort économique en cours pour réduire d’environ 1.5% la consommation d’énergie/an. De nombreux experts tablent sur une rupture importante de l’équilibre vers 2027-28. Naturellement, on peut formuler l’hypothèse optimiste que la hausse de la production d’énergie nucléaire et renouvelable pourrait compenser ce « trou ». Mais la réalité n’est pas si rose. Depuis 2005 le monde a investi plus de cinq mille milliards de dollars pour augmenter la capacité de production nucléaire. Actuellement il y a 442 réacteurs nucléaires qui fonctionnent dans 35 pays ; mais un certain nombre de centres de production sont hors service (manutention, réparations, restructurations). Actuellement il y a 4 réacteurs nucléaires en construction dans le monde, mais l’Agence de l’Energie Atomique Internationale a réduit ses prévisions de 45 Gw pour 2030 dans l’hypothèse pessimiste et l’optimiste. Il faut compter une quinzaine d’années entre la décision de construire une nouvelle centrale et la première production d’énergie, même si en moyenne la construction des réacteurs nucléaires en fonction a pris sept ans et demi, dans le passé. Mais les normes de sécurités et surtout les nouvelles technologies augmentent ce délai, comme le confirme l’annonce du Président Macron qui a proposé la construction de six réacteurs nucléaires EPR-2…le premier entrera en fonction en 2035, si tout va bien.
Les choix « verts »
Les choix de la communauté internationale en faveur d’une décarbonisation de l’économie sont claires, au moins sur le papier. Si on veut limiter la hausse des températures à un maximum de 1.5° d’ici à 2050, il faut réduire d’une façon drastique la consommation d’énergies fossiles pour limiter la production de CO2. Un certain nombre de pays s’est engagé à respecter ces contraintes, d’autres ont demandé plus de temps, d’autres encore n’ont pas pris d’engagements. L’impact immédiat de ces choix est très évident. Tous les documents officiels des organisations internationales découragent les investissements dans les énergies fossiles, de très nombreuses banques ne participent plus aux opérations de financements de projets dans ce secteur et déconseillent les entreprises à s’y engager, des fonds d’investissements liquident leurs positions dans le secteur de l’énergie fossile, la mode des investissement verts oriente la structuration des portefeuilles vers des choix qui excluent totalement tout investissement dans le secteur des énergies fossiles. Quelle est la conséquence immédiate ?
Une forte chute des flux des investissements
L’arrivée du pétrole et du gaz de schiste américains (surtout du bassin permien) à partir de 2014 avait fait chuter les prix, surtout du gaz, et avait découragé les investissements. En 2014, selon l’AIE, le montant total des investissement dans la recherche et développement des champs pétroliers et gaziers dans le monde entier avait été de 780 milliards de dollars. Il faut comparer ce montant avec les 326 milliards d’investissements de 2020, toujours selon la même source. Les estimation pour 2021 et début 2022 sont encore plus faibles, probablement, surtout à cause du désengagement des banques du secteur « investment finance » pour deux raisons précises : incertitude sur la viabilité et les risques des investissements et forte orientation de l’opinion publique et politique mondiale contre la production d’énergies fossiles.
Mais il faut tenir compte d’un fait important : en moyenne, un puit de pétrole perd 4% de sa capacité de production sur base annuelle ; en d’autres mots, un puit vieillit. C’est la même chose pour les puits de gaz. Par exemple, la Russie a développé les bassins gaziers de la péninsule de Yamal (grand nord de la Sibérie, avec le champ de Bovanenkovskoye, le premier d’une série de champs super-géants) et de l’île de Sakhalin (Extrême-Orient) pour remplacer progressivement la production du bassin de la région de Nadym-Pur-Taz (NPT) en Sibérie occidentale qui (actuellement) exporte le gaz vers l’Europe et qui est en train de vieillir. De plus, entre le moment de la décision économique de procéder à un investissement (qui commence par la prospection) et la première goutte de pétrole, en moyenne, passent sept ans …souvent dix-quinze ans dans le cas d’un investissement minier et le premier lingot de métal ! Cela signifie que même si les entreprises qui travaillent dans les énergies fossiles décident d’augmenter drastiquement le volume des investissements, seulement vers la fin de cette décennie on aura une hausse de l’offre…
INVESTISSEMENTS – pétrole et gaz
– milliards de dollars (source IEA – 2022)
Nombre de centrales nucléaires en service dans le monde
Recours à l’éolien et au solaire, mais…
On peut tabler sur un développement très rapide des capacités de production éoliennes et solaires, mais il faut tenir compte de quelques considérations techniques. Dans le cas des éoliennes, la vitesse du vent doit être comprise entre 5 mètres/s. (minimum) et un maximum de 25 m/s : si cette vitesse est dépassée, l’éolienne doit être arrêtée pour des raisons de stabilité…tous les moulins à vent hollandais étaient dirigés par des anciens marins avec une grande expérience dans le maniement des voiles et la gestion de la voilure, en fonction du vent. Mais la présence du vent n’est pas garantie. Par exemple, au cours de l’été passé, en Allemagne la saison très humide avait limité l’activité du vent et donc la production d’énergie électrique obtenue des éoliennes (-7%) ; le pays avait dû recourir à la lignite et aux importations d’énergie électrique, comme le fait – actuellement – la France qui est gênée par la fermeture d’une douzaine de réacteurs nucléaires sur les 56 que le pays possède.
Par ailleurs, les panneaux solaires sont efficaces seulement avec une forte luminosité ; leur rendement est bien inférieur si le temps est nuageux ou très chaud. Des recherches sont en cours pour produire de l’énergie pendant la nuit aussi, mais les rendements sont encore très modestes et donc ces produits ne sont pas encore commercialisés. D’autre part, on a découvert que les panneaux solaires placés dans des régions balayés par des vents chargés de sable des déserts perdent de la puissance avec le sable et on a dû les équiper avec des « balais-glaces » pour récupérer une partie de la puissance et on a aussi observé que de nombreux panneaux – vendus pour durer une quinzaine d’années – sont hors service après 7-8 ans et il faut les remplacer.
Donc l’énergie verte est une bonne solution, mais elle n’offre pas la garantie de continuité dans la production qui souvent est intermittente. En outre, elle n’est pas suffisante pour compenser les déséquilibres entre la demande et l’offre, même si la hausse des prix des énergies fossiles favorise les investissements dans la production d’énergies vertes. Devons-nous nous préparer à une autre importante crise énergétique ?